FICHE 17

La montée des entreprises multinationales

(D'après Pierre Cyrille Hautcoeur)

Exploitation pédagogique réalisée par Jean-François Soutenain (Lycée Benjamin Franklin, Orléans)

Mots-clés : multinationale ; groupe ; internationalisation ; filiale ; investissement ; réseau ; alliance

Le poids des entreprises multinationales

La complexité du phénomène

La diversité des entreprises multinationales (EMN)

A – Le poids des entreprises multinationales

L’ONU recense environ 60 000 entreprises multinationales (EMN).[i] On en comptait environ 7 000 en 1970. On a donc, apparemment, un phénomène beaucoup plus important qu’auparavant. Ces 60 000 firmes multinationales ont environ 500 000 filiales dans le monde, emploient 6 millions de salariés à l’étranger et représentent, d’après les estimations, 25 % de la production mondiale (PNB mondial : 39 000 milliards de dollars).

Plus de 80 % des entreprises-mères sont localisées dans des pays riches (de l’OCDE). Les autres sont dans des pays juste en dessous du point de vue de la puissance économique : le Mexique, le Brésil, Hongkong, Singapour, Taiwan.[ii]

Le total des ventes de filiales de multinationales représente plus que le commerce mondial de biens et services (11 000 milliards de dollars en 1998 – exportations mondiales : 7 000 milliards de dollars). Les seules ventes entre filiales de multinationales représentent plus du tiers du commerce mondial.

Les flux d’investissement étranger direct (IED)[iii] ont progressé de près de 40 % en 1998, pour s’établir à 644 milliards de dollars sur l’année. Ces mouvements s’expliquent en partie par les fusions-acquisitions, c’est-à-dire par des placements plus que des créations d’actifs. On constate un accroissement considérable de l’IED dans les pays développés. La part des pays en développement dans le total mondial des flux d'IED est en recul : 26% en 1998 contre 37 % en 1997.

B – La complexité du phénomène

La définition même de la notion d’EMN pose problème.

Il y a des cas très simples, en particulier celui des filiales de sociétés américaines qui sont en général contrôlées à 100 %. Cela correspond au modèle américain des années 60 et 70.

Mais, depuis, la réalité est devenue beaucoup plus complexe : les EMN européennes (moins en mesure d’acheter ou de construire des entreprises) ont des participations moindres (majoritaires, voire minoritaires). La toile des participations entre les sociétés est parfois complexe et si la stratégie globale reste définie par la maison-mère, le poids des actionnaires nationaux peut exercer une contrainte non négligeable.

A l’extrême, il n’y a plus de domination définie. Des sociétés peuvent conclure entre elles des alliances (c’est le cas, notamment, des alliances entre les firmes à propos de la recherche-développement), avec des prises de participation au capital. Les rapports de pouvoirs sont moins discernables au sein de ces réseaux parfois compliqués d’entreprises.

Les rapports de pouvoir peuvent changer en fonction des activités :

· quand il s’agit de production et de distribution, les rapports sont essentiellement hiérarchiques ;

· quand il s’agit de conception ou de recherche, on a plutôt des relations de coopération entre des entités qui sont de tailles similaires.

Par exemple, Mazda (entreprise japonaise) est une filiale à 25 % de Ford (société américaine). La société Ford est obligée de "négocier" ses choix, même s’il y a effectivement un rapport de domination unilatéral.

Si l’on analyse l’entreprise par fonctions (fonctions de recherche, de conception ou de distribution du produit, de financement de la production), on peut avoir à la fois spécialisation de certains pays sur une partie des fonctions et d’autres fonctions qui apparaissent dans différents pays. On ne peut plus, dans ce cas, parler globalement de la spécialisation des différentes composantes d’un groupe multinational.

C - La diversité des entreprises multinationales (EMN)

On observe plusieurs modèles.

1. Aux États-Unis, les entreprises sont de types assez différents.

1er cas : Des EMN s’occupent principalement d’extraire des ressources naturelles localisées à l’étranger, c’est le cas typiquement, des sociétés pétrolières.

La société a son capital dans un pays riche, va chercher du pétrole dans un pays étranger ; ses actifs sont à l’étranger (plates-formes) ; une part importante de son personnel travaille à l’étranger. Elle peut aussi réaliser une part plus ou moins grande de ses ventes à l’étranger, mais c’est un phénomène indépendant. Ce qui importe pour ce type de société est le lieu de production. Ensuite, elle distribue à un endroit ou à un autre. Il y a indépendance entre le lieu où est réalisée la production et le lieu où sont réalisées les ventes.

Shell a ainsi 80 % des actifs à l’étranger ; 70 % du personnel ; 44 % seulement des ventes (et pas principalement dans le lieu où a été extraite la matière première).

2ème cas : Des entreprises qui sont fondamentalement des entreprises industrielles nationales et qui se sont développées à l’étranger. Le cas typique est celui de la société Ford.

Ford est une entreprise d’automobiles américaine qui a une partie de ses actifs à l’étranger (30 % du total) ; une partie de son personnel (32%) ; et qui réalise des ventes à l’étranger (32 %). Elle reste principalement une société américaine mais l’importance de ses actifs est telle qu’elle est la deuxième société multinationale par ordre des actifs. Les cas de la General Electric et de la General Motors et, d’une manière générale de la plupart des entreprises américaines, sont similaires. Le marché central est aux États-Unis et elles ont des activités ailleurs.

Le contre-exemple est IBM qui est une entreprise relativement mondiale ayant à l’étranger 50 % de ses actifs, 50 % de ses emplois et 60 % de ses ventes. Les filiales, européennes notamment, sont à chaque fois le principal producteur informatique du pays.

2. Le modèle européen

Les entreprises ont une base nationale et ont une activité développée sur les marchés proches. Ce sont des entreprises pour lesquelles la part d’actifs, de personnel, de ventes à l’étranger est en général très élevée. Dans certains cas, la part à l’étranger est même absolument dominante : par exemple, pour Nestlé (Suisse) : 87 % des actifs ; 97 % de l’emploi et 98 % des ventes. On peut penser aussi à des sociétés comme Unilever, ABB (Suisse), Roche (Suisse), Philips (Pays-Bas).

Mais le jour où on mesurera l’Europe comme les États-Unis, c’est-à-dire en ne comptant plus tout ce qui est intra-européen comme actif à l’étranger, production à l’étranger ou ventes à l’étranger, ces entreprises vont ressembler aux entreprises américaines.

3. Les entreprises japonaises

Ce sont des entreprises qui ne se sont pas développées comme les sociétés européennes en s’étendant autour d’elles, mais qui ont construit de vraies positions de production aux États-Unis et en Europe. Ainsi, Toyota ou Sony ressemblent un peu aux entreprises américaines dans la mesure où il n’y a pas une très grosse part de la production qui est réalisée à l’étranger mais la proportion des ventes à l’étranger est substantielle (par exemple, pour Sony : 70 % des ventes sont réalisées à l’étranger ; 60 % de la main d’œuvre à l’étranger).

Ce sont des entreprises qui sont plus réellement internationales au sens où ce n’est pas vraiment une internationalisation à l’Européenne, essentiellement de proximité ; ce n’est pas non plus une internationalisation à l’américaine, qui consiste à rajouter quelque chose à une base essentiellement nationale ; c’est une internationalisation qui n’est, certes pas complète dans la mesure où elle est limitée aux pays développés, mais c’est une internationalisation plus lointaine, plus réelle en matière de croissance.

Voir aussi : pourquoi existe-t-il des multinationales ?

 


[i] Rapport sur l'investissement dans le monde – CNUCED – Les sociétés transnationales comprennent les sociétés mères et leurs filiales étrangères. La société mère contrôle les actifs d’une ou plusieurs entités dans un ou plusieurs pays autre(s) que son pays d’origine, généralement sous la forme d’une participation au capital. Dans un tel contexte, on considère normalement une participation de 10 % comme le seuil pour contrôler une société.

[ii] Sur les 100 premières sociétés transnationales, 2 seulement sont originaires de pays en développement : il s’agit de Petróleos de Venezuela et de Daewoo Corporation (République de Corée).

[iii] L’investissement étranger direct est un investissement impliquant le contrôle d’une entité résidant dans un pays par une entreprise résidant dans un autre pays. L’IED suppose une relation à long terme reflétant l’intérêt durable de l’investisseur dans une entité étrangère.

Retour sommaire